L'inceste chez les chevaux sauvages

L’inceste, relation sexuelle entre proches parents, est une notion habituellement consacrée à l’espèce humaine. Même s’il existe, entre les différentes cultures, des variations dans la définition de ce que sont des parents proches, la notion d’inceste est généralement soumise à un interdit.

Si l’on s’en tient à la stricte définition, il s’agit de reproduction entre individus très fortement apparentés, et, dans ce cas, ce phénomène n’aurait aucune raison de ne pas exister chez les animaux. Il est bien entendu que cette notion d’interdit au sens anthropologique n’a plus ici de raison d’être. Chez les animaux, le danger de telles reproductions réside dans le devenir de la population. En effet, la consanguinité (« sang commun ») mesure la probabilité (le risque) que deux individus portent des gènes ayant une origine identique, autrement dit, issus de même parents. Dans la nature, cette consanguinité est présente et, lorsque ce risque est trop fort, il a des effets néfastes sur la population. Par exemple, des animaux trop consanguins sont moins résistants face aux maladies, ou encore, produisent moins de progénitures. En résumé, soit ils ont plus de chance de mourir de maladies, soit ils ralentissent la croissance de la population. L’inceste existe-t-il chez les chevaux ? Les chevaux libres, ceux qui vivent à l’état sauvage, sans intervention de l’homme, comme les Mustangs ou les chevaux de Przewalski... ?

Le seul moyen de savoir si les étalons se reproduisent avec leurs filles, les juments avec leurs poulains ou les jeunes étalons avec leurs sœurs, est d’observer ces comportements. Souvent, dans la nature, l’observation directe est difficile (la nuit par exemple...), c’est pourquoi les scientifiques préfèrent identifier les parents d’un jeune poulain par la génétique. A l’aide d’un prélèvement de peau ou de sang, il est possible de connaître le père de chaque poulain, la mère étant plus facile à identifier par l’observation des tétées.
Ainsi, la station biologique de la Tour du Valat (P. Duncan), qui a étudié une manade sauvage de chevaux Camargue dans les années 70-80, a montré que moins de 1 % des saillies concernait une jument avec son poulain ou un étalon avec une de ses pouliches. Pourtant, la population comptait 75 chevaux au début des années 80, qui ont produit un total de 147 poulains. Un résultat identique a été observé par l’association Takh (C. Feh) qui élève des chevaux de Przewalski pour des réintroductions en Mongolie. Sur les neuf années d’étude, pendant lesquelles plus de 50 poulains sont nés, moins de 0,5 % sont issus d’accouplements de ce type. Enfin, le même phénomène a été observé sur une population de Mustangs dans le Great Basin Desert aux Etats Unis (J. Berger). Les pouliches ne s’accouplent pas avec l’étalon de leur groupe de naissance, qu’il soit leur père génétique ou leur père social (cas où une jument s’est laissée séduire par un étalon extérieur au groupe familial...). Il est donc évident que l’inceste est évité chez les chevaux vivants à l’état sauvage. S’il est facile de comprendre pourquoi, quand on connaît les effets néfastes de ce type d’accouplements sur la population, reste à savoir comment cela est évité...

La structure sociale des chevaux libres se caractérise par des relations durables entre étalons et juments. La population se compose de groupes familiaux qui rassemblent un étalon avec ses juments et leurs poulains, et de groupes de jeunes étalons célibataires. Les poulains et pouliches qui naissent dans un groupe familial y restent 2 à 3 ans. Ils ont ainsi l’occasion de créer des liens avec leur père, leurs frères et sœurs, et bien sûr leur mère. Après ce délai, ils quittent leur groupe de naissance de leur plein gré ou sont invités à le faire par leur père ou leur mère... Les jeunes étalons rejoignent leurs homologues encore célibataires, et les jeunes juments partent fonder une nouvelle famille ou sont intégrées dans une famille déjà existante. Ainsi, par ce départ du groupe de naissance au moment où les jeunes chevaux sont physiologiquement aptes à la reproduction, les accouplements incestueux sont évités. Et ils le sont à long terme ! En effet, les chevaux gardent en mémoire l’identité des congénères qu’ils ont côtoyés plusieurs années. Si un étalon est mis à l’écart de son groupe familial juste avant la naissance de ses petits, et qu’il y est replacé quelques années plus tard, il ne reconnaît pas ses pouliches comme ses filles et peut se reproduire avec elles (expérience menée sur les chevaux Camargue de la Tour du Valat). La vie de famille est donc indispensable pour éviter l’inceste.

Lorsque les étalons et juments ont la possibilité de former des liens sociaux sur plusieurs années, ils évitent de préférence de se reproduire avec un membre de leur famille. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les chevaux ont une tendance naturelle à éviter de concevoir des poulains fortement consanguins.